Contexte macroéconomique : entre tensions tarifaires et optimisme des marchés actions
Le trimestre a été marqué par un choc initial : l’annonce de l’administration américaine début avril d’une hausse généralisée des droits de douane qui a déclenché une correction rapide des marchés. En quelques jours, les spreads de crédit se sont élargis et les investisseurs ont réduit leur exposition au risque. Le report des mesures a toutefois provoqué un rebond, porté sur les marchés par de solides résultats d’entreprises et un élan continu lié à l’intelligence artificielle dans les grandes valeurs technologiques, ainsi que des indicateurs économiques plus solides que prévu.
- États-Unis : reprise nette avec +3,0 % de croissance annualisée au 2ᵉ trimestre, inflation en reflux (2,9 %), chômage stable à 4,1 %.
- Zone euro : croissance fragile à 0,9 % attendue sur l’année, pénalisée par l’industrie. La BCE a abaissé ses taux en juin pour stimuler l’activité.
- Financements : malgré une contraction des émissions de prêts syndiqués en avril, le private credit a pris le relais, permettant aux deals de se conclure.
Cet environnement a conduit les fonds à rester disciplinés et sélectifs, mais les volumes buyout restent élevés, tirés par de grandes transactions aux États-Unis et un mid-market dynamique en Europe.
Marchés mondiaux des sorties, introductions en bourse (« IPOs ») et ventes en secondaire
Les marchés des sorties ont continué à montrer des progrès au 2ᵉ trimestre, bien que le rythme de reprise reste plus lent que ce qu’espéraient de nombreux investisseurs. La valeur globale des sorties M&A a atteint 387 milliards de dollars au premier semestre 2025, une hausse de 53 % sur un an. L’activité du deuxième trimestre a été soutenue par une augmentation de la participation des acheteurs stratégiques, qui a alimenté un certain nombre de sorties importantes.
Exemples notables :
- GTCR a vendu Worldpay à Global Payments pour 24,2 milliards de dollars.
- Permira a vendu Informatica à Salesforce pour 8,0 milliards de dollars.
- Insight Partners a cédé Dotmatics à Siemens pour 5,1 milliards de dollars.
- The Jordan Company a cédé Silvus Technologies à Motorola pour 4,4 milliards de dollars.
La hausse de la valeur des sorties s’est produite malgré une troisième baisse consécutive du nombre d’opérations annoncées, qui s’est établi à 599, soit une diminution de 7 % d’un trimestre sur l’autre. Bien que les sociétés de qualité continuent d’obtenir des prix attractifs, des taux d’intérêt élevés et l’incertitude entourant les perspectives macroéconomiques continuent de limiter le champ de ce qui peut effectivement se réaliser dans l’environnement actuel. Par conséquent, l’inventaire des sociétés détenues par des fonds de Private Equity (« PE ») poursuit sa hausse, atteignant un niveau record de plus de 12 500 aux États-Unis, selon PitchBook Data, Inc.
Les marchés d’IPO ont également connu un léger rebond à mesure que le trimestre progressait. Alors que l’émission était faible en avril au moment de l’annonce de l’augmentation des droits de douane, la deuxième moitié du trimestre a vu 13 sociétés soutenues par des fonds de PE s’introduire en bourse, y compris six IPOs technologiques capital-risque d’une valorisation supérieure à 1 milliard de dollars.
Dans un contexte de ralentissement des sorties traditionnelles, le marché secondaire a poursuivi sa forte progression. Selon les données de Jefferies, le volume mondial du marché secondaire a atteint 103 milliards de dollars au premier semestre, en hausse de 51 % par rapport à la même période en 2024, et le plus grand total semestriel jamais enregistré. L’amélioration des prix a renforcé les opportunités pour les LPs cherchant à rééquilibrer leurs portefeuilles et à résoudre les problèmes de surallocation via le marché secondaire LP. Le prix moyen observé sur l’ensemble des stratégies de marchés privés a atteint 90 % de la NAV au premier semestre, son plus haut niveau depuis 2021. Cela a porté la valeur totale des transactions LP secondaires à environ 56 milliards de dollars au cours de la période, en hausse de 40 % sur un an.
Les fonds de pension publics et d’entreprises ont représenté près de la moitié du total, incluant plusieurs ventes de portefeuilles de plusieurs milliards de dollars annoncées au deuxième trimestre. Le marché GP-led a affiché une croissance encore plus forte, en hausse de 68 % sur un an, soutenu par un montant croissant de capitaux dédiés à cette stratégie. Cet afflux de capitaux a permis aux GPs de mener des transactions plus grandes et plus complexes. Au deuxième trimestre, cela inclut un véhicule de continuation single asset de 3,1 milliards de dollars levé par New Mountain Capital pour son investissement dans la société de santé Real Chemistry, et un véhicule multi-assets de 2,3 milliards de livres sterling levé par le gérant buyout européen Inflexion.
Marché buyout américain : ralentissement relatif mais activité soutenue
Aux États-Unis, l’activité buyout a légèrement reculé au 2ᵉ trimestre, avec 68,6 Md$ de transactions (–17 % vs 1ᵉʳ trimestre), mais elle reste en progression sur 12 mois : le total semestriel atteint 152 Md$, soit +14 % par rapport au 1ᵉʳ semestre 2024, en voie de figurer parmi les trois meilleures années jamais enregistrées. Ces gains ont été largement portés par la taille des transactions plutôt que par le volume, le nombre de deals restant relativement faible. Ainsi, la majeure partie de l’amélioration annuelle provient des transactions large-cap : les cinq plus grands buyouts annoncés jusqu’en juin représentent 42 % de l’activité globale. Transactions notables du 2ᵉ trimestre :
- Thoma Bravo carve-out de Jeppesen (Boeing) pour 10,6 milliards de dollars.
- 3G Capital take-private de Skechers pour 9,4 milliards de dollars.
- Silver Lake rachète une participation majoritaire dans Altera (Intel) pour 8,8 milliards de dollars.
Malgré un ralentissement du marché de la dette syndiquée en avril, les prêteurs directs sont restés actifs. Selon PitchBook LCD, 86 % des nouveaux LBOs ont été financés par le marché du direct lending au 2ᵉ trimestre, incluant un prêt unitranche de 4,0 milliards de dollars pour Jeppesen mené par Apollo et Blackstone.
Au 1ᵉʳ semestre 2025, le prix moyen des opérations de buyout a atteint 11,8x EBITDA selon PitchBook LCD contre 10,9x en 2024. Cette augmentation de prix reflète le fait que seules les entreprises de très grande qualité se vendent dans un contexte macroéconomique incertain. Les gérants restent disciplinés et prudents sur les entreprises exposées à la consommation ou aux changements de droits de douane, même s’il convient de noter que l’activité buyout a augmenté au 1ᵉʳ semestre dans l’industrie (15 % des volumes), la santé (18 %) et l’énergie (18 %), tandis que la technologie, pourtant peu exposée aux barrières tarifaires, a vu sa part reculer : de 42 % en moyenne sur les cinq dernières années à 28 % au 2ᵉ trimestre 2025.
Cette discipline s’est aussi reflétée au 1ᵉʳ semestre dans la structuration plus prudente des deals :
- Levier financier moyen : 5,0x EBITDA (vs 5,5x moyenne 5 ans).
- Couverture d’intérêts cash : 2,7x (vs 2,3x en 2024).
Europe : un net ralentissement, sauf sur le mid-market
Après une année 2024 vigoureuse, l’activité buyout européenne a chuté au 2ᵉ trimestre 2025 à 25,9 Md€ selon LSEG Data & Analytics, en baisse de 25 % par rapport au trimestre précédent et de 51 % sur un an. La contraction est concentrée sur les transactions large-cap (valeur d’entreprise supérieure à 1 Md€) : la valeur agrégée tombe à 11,2 Md€ (–49 % par rapport au 1ᵉʳ trimestre). Plusieurs grosses opérations du trimestre sont des add-ons plutôt que des plateformes, illustrant une prudence accrue : HornetSecurity (1,8 Md€) racheté par une société en portefeuille Thoma Bravo ; Regina Maria (1,1 Md€) acquis par une plateforme soutenue par CVC et Hellman & Friedman. D’après PitchBook, les add-ons pèsent plus de 1/3 de la valeur totale au 2ᵉ trimestre 2025 (vs ~1/4 un an plus tôt).
À l’inverse, le mid-market reste très actif (14,7 Md€ au 2ᵉ trimestre, son plus haut niveau depuis fin 2022), traduisant un déplacement des opportunités vers des tailles de deals plus abordables.
Le Royaume-Uni & l’Irlande redeviennent la zone la plus active (38 % de l’activité). Trois des cinq plus grosses opérations du trimestre impliquent des sociétés britanniques et/ou irlandaises, dont la plus importante : OSTTRA Group racheté par KKR (3,1 Md$). Les public-to-private (retraits de cote) ont été un trait marquant du marché britannique : Hargreaves Lansdown a été formellement retirée de la cote (acquisition CVC / Nordic Capital), tandis qu’Advent et KKR se sont disputés Spectris (transaction conclue peu après la fin du trimestre).
L’émission primaire high yield européenne atteint 25,5 Md€ au 2ᵉ trimestre (vs 19,2 Md€ au 1ᵉʳ trimestre) — deuxième plus haut total trimestriel en plus de trois ans. Cette hausse est intervenue malgré un pic temporaire des spreads début avril (BB € > 270 bps), avant de revenir < 220 bps en fin de trimestre. Le mouvement a coïncidé avec la détente de l’inflation et la baisse de taux de la BCE en juin.
Private Equity en Asie : activité toujours morose malgré un léger redémarrage
Les investissements en private equity en Asie sont restés modérés durant le 2ᵉ trimestre : 16,5 Md$ de valeur de transactions (+2,7 % vs 1ᵉʳ trimestre) pour 1 077 investissements, selon Mergermarket. Le 1ᵉʳ semestre 2025 totalise 32,6 Md$, plus bas semestre depuis le 2ᵉ semestre 2013, reflétant la volatilité et l’incertitude liées aux tarifs douaniers. Malgré un léger redressement des segments mid-cap buyout et growth, la stagnation tient surtout à l’absence d’opérations de large-cap. Le marché montre toutefois des signes de reprise potentielle, avec plusieurs deals importants annoncés mais non encore clos : rachat de Santos (A$ 29 Md / 18,7 Md$) par un consortium ADNOC–ADQ–Carlyle ; carve-out de York Holdings par Bain (¥ 815 Md / 5,5 Md$) ; carve-out de Mitsubishi Tanabe Pharma (¥ 510 Md / 3,3 Md$) également mené par Bain.
Les IPOs en Asie — toujours en deçà des standards historiques — ont commencé à se dégeler au 2ᵉ trimestre : 153 sociétés ont levé 17,8 Md$, soit 2x plus qu’au 1ᵉʳ trimestre et près de 3x plus qu’au 2ᵉ trimestre 2024. Hong Kong repasse en tête, portée par CATL (fabricant n°1 mondial de batteries EV), qui a levé HK$ 41 Md (5,3 Md$) via une double cotation — plus grosse IPO de la place depuis 2021. Outre CATL, trois autres entreprises ont levé plus d’1 Md$ au 2ᵉ trimestre.
Dans le prolongement du record 2024 des GP-led à l’échelle mondiale, les GPs asiatiques utilisent davantage les véhicules de continuation pour générer de la liquidité tout en conservant leurs meilleurs actifs. Au 2ᵉ trimestre, IDG Capital (Chine) a finalisé un véhicule de continuation multi-assets de 500 M$ (13 actifs onshore/offshore, dont ByteDance comme principale participation). Puis Multiples Alternate Asset Management (Inde) a clôturé le plus grand fonds de continuation multi-assets d’Inde à 430 M$, sans syndication. L’Asie ne représente encore qu’une petite fraction du marché secondaire mondial en expansion, mais l’acceptation de ce canal progresse chez les GPs et investisseurs.
Fundraising : redressement marqué, dominé par les buyouts
Le fundraising PE mondial enregistre son meilleur trimestre en deux ans, totalisant 148 Md$ (+22 % vs 1ᵉʳ trimestre), d’après LSEG Data & Analytics et Pathway Research. Malgré ce rebond, l’activité globale demeure inférieure aux niveaux observés entre 2020 et 2023, le marché continuant de composer avec des distributions limitées dans un contexte de sorties atone. Il en résulte une polarisation marquée : les fonds les plus recherchés connaissent des processus compétitifs et rapides, tandis que la plupart des autres GPs affrontent des délais allongés et des difficultés à élargir leur base d’investisseurs. Nombre de LPs restent touchés par des problèmes de surallocation, ce qui conduit certains à ralentir le rythme d’engagements et à concentrer leur capital disponible sur des gérants plus grands et plus expérimentés. Ainsi, au 2ᵉ trimestre, Thoma Bravo XVI (24,3 Md$) et Thoma Bravo Discover V (8,1 Md$) ont représenté 22 % des montants levés.
À l’image de 2024, le marché de la levée reste très orienté buyout sur le 1ᵉʳ semestre 2025. Les fonds buyouts ont levé 96,2 Md$ au 2ᵉ trimestre (soit 65 % du capital total). Ce dynamisme a été porté par les closings des fonds précités de Thoma Bravo, ainsi que par Veritas Capital IX (13,3 Md$) et Linden Capital Partners VI (5,4 Md$). Plusieurs grands fonds restent en marché, notamment KKR North America XIV (cible 20,0 Md$) et Clearlake Capital Partners VIII (15,0 Md$).
Au sein des fonds Buy-Outs, le marché favorise les gérants aux propositions de valeur différenciantes (spécialisation sectorielle, modèles opérationnels distinctifs).
Les co-investissements prennent de l’importance pour de nombreux LPs, perçus comme un moyen d’augmenter l’exposition à des gérants de qualité à moindre coût. À l’inverse, l’activité en venture capital reste faible : 40,5 Md$ levés au 1ᵉʳ semestre (–20 % vs 1ᵉʳ semestre 2024), en passe d’être la plus faible année depuis 2017.
Conclusion
Le 2ᵉ trimestre 2025 confirme la résilience du Private Equity dans un environnement macroéconomique instable. Aux États-Unis, l’activité reste soutenue, dominée par de grandes transactions financées par le private credit, tandis qu’en Europe, le ralentissement du large-cap contraste avec un mid-market plus dynamique.
Les sorties progressent, le marché secondaire redonne de la liquidité et les levées de fonds buyout atteignent des niveaux robustes. Si les statistiques du semestre montrent un recul relatif des transactions technologiques, les secteurs de la nouvelle économie — logiciel, santé et services B2B — demeurent les mieux placés pour générer une croissance durable.
Dans le même temps, l’industrie du Private Equity elle-même se consolide : un petit nombre de GPs capte désormais l’essentiel du capital, tandis que certains acteurs, malgré de bonnes performances passées, pourraient disparaître faute de réussir leur levée suivante. Cela souligne l’importance de ne pas limiter l’analyse d’un gérant à sa performance passée pour sélectionner un fonds dans lequel on s’engage pour 10 ans. Pour un investisseur privé, il est essentiel d’être accompagné par des professionnels capables d’identifier les gérants les plus solides et différenciants, et de construire une exposition disciplinée et tournée vers les secteurs porteurs de la nouvelle économie.